IL SOUFFLE UN VENT DÉCIDÉMENT MAUVAIS, par François Leclerc

Billet invité.

En fin d’année dernière, nous en étions restés au danger d’une crise simultanée de volatilité et de liquidité sur les marchés financiers. En identifiant ces symptômes sans aller jusqu’à clarifier leurs causes, le FMI était rejoint en début d’année par la Banque mondiale qui abaissait fortement ses prévisions de croissance. Puis, la crainte d’un nouvel accès de crise a pris soudain de la vigueur, créant une belle cacophonie en raison de la diversité des sujets d’inquiétude des analystes financiers (*), donnant la forte impression qu’ils ne savent plus quoi penser.

La volatilité sur les marchés boursiers n’a pas tardé à s’accroître à l’approche finale d’un atterrissage de la Chine mal engagé. L’éclatement prévisible de gigantesques bulles d’endettement et immobilière, accompagné de la révélation de fortes capacités de surproduction et de la chute d’une croissance dorénavant donnée pour avoisiner un petit 2%, loin des 7% officiels, ne créent pas des perspectives réjouissantes. La Chine négocie un virage très dangereux.

L’alarme a retenti lorsque des flottements sont apparus dans la conduite des opérations monétaires de la Banque populaire de Chine, ainsi qu’à l’occasion des tentatives maladroites d’enrayer un nouveau plongeon boursier. Et, comme si cela ne suffisait pas, la chute du prix du pétrole et de nombreuses matières premières, ainsi que le surenchérissement du coût du remboursement des dettes contractées en dollar par les entreprises des pays émergents s’annoncent peser lourd sur l’économie de ces pays. Circonstance aggravante, le pétrole n’aurait pas encore atteint son plus bas.

Tous les pays émergents sont désormais de plain pied dans une crise qui les avait jusqu’à maintenant épargnés, alors que les pressions déflationnistes et récessionnistes sont ancrées dans les pays développés, et que la croissance des échanges commerciaux mondiaux faiblit, inférieure à une croissance du PIB elle même pas bien vaillante. L’ensemble signe irrémédiablement la fin d’une période, celle qui se dessine pour lui succéder n’ayant rien d’encourageant.

Nous étions dans le domaine du visible, mais il faut aussi compter avec ce que l’économiste en chef de la Banque mondiale a qualifié de « failles sous la surface », en référence à ce qui pourrait susciter « de dangereux mouvements de capitaux », sans sembler lui aussi être en mesure de clarifier son propos. Car il arrive que même des économistes bien pensant commencent à reconnaître qu’ils n’y voient goutte dans ce monde qui ne tourne plus comme avant. Exemple : en raison de l’augmentation de la taille du bilan des banques centrales, ils attendaient l’inflation et ont hérité de la déflation !

Il en va de même, si l’on considère quelques mystères américains du moment. La baisse du prix du pétrole libère du pouvoir d’achat mais ne génère par la croissance de la consommation attendue, car les particuliers reconstituent leur épargne ; le chômage diminue (si l’on considère le travail à temps-partiel contraint), mais cela ne se répercute qu’imparfaitement sur le taux d’emploi. Au final, la domination des primaires républicaines par Donald Trump reflète l’ampleur du désarroi qu’éprouvent les classes moyennes américaines.

Pour y revenir, l’alerte de la Banque mondiale ne doit pas être prise à la légère, à considérer l’énorme masse des capitaux cherchant une affectation dont les déplacements brutaux sont destructeurs quand ils s’y mettent. Jamais la mauvaise allocation des capitaux n’aura été aussi criante, celle que nous observons ayant de surcroît bénéficié des injections massives de liquidité des banques centrales et leurs taux quasi-nuls. Voulant bien faire, celles-ci ont simultanément dispensé le bien et le mal. Les difficultés rencontrées par la Fed pour revenir sur ses mesures non conventionnelles posent question : les banques centrales auraient-elles franchi un point de non retour ? Le mal n’est-il pas en train de l’emporter sur le bien ? En tout état de cause, nul besoin de chercher plus loin, l’hypertrophie de la sphère financière est à l’origine des déséquilibres à venir.

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(*) Lire à ce propos l’article de Martine Orange : Les financiers broient du noir pour 2016, dans Mediapart.